Transazioni
0063 - Banque cantonale de Genève
Recommandation la Banque cantonale de Genève du 29 mai 2000
Dérogation à l'obligation de la République et Canton de Genève de présenter une offre publique d'acquisition aux actionnaires de la Banque cantonale de Genève
A.
La Banque cantonale de Genève (BCGe) est une société anonyme de droit public constituée selon une loi genevoise du 24 juin 1993 (Loi sur la Banque cantonale de Genève). Elle est issue de la fusion de deux établissements dont elle a repris les actifs et les passifs: la Caisse d'Epargne de la République et Canton de Genève, d'une part, et de la Banque Hypothécaire du Canton de Genève, d'autre part. Son capital se monte à CHF 225'000'000.--. Il est divisé en 2'651'032 actions nominatives de CHF 50.-- nominal chacune et en 924'484 actions au porteur de CHF 100.-- nominal chacune. Conformément à l'art. 7 al. 2 de la loi précitée, le canton et l'ensemble des communes détiennent la totalité des actions nominatives de la banque. Les actions au porteur sont cotées au marché principal de la Bourse suisse.
Au 11 mai 2000, les collectivités publiques genevoises détenaient les participations suivantes dans la banque:
B.
La crise immobilière des années 90 avait compromis la situation financière de la Caisse d'Epargne et de la Banque Hypothécaire. En particulier, elle avait affecté la valeur des immeubles garantissant les crédits octroyés. Après avoir repris ces crédits problématiques, la BCGe a d'abord cherché à assainir son bilan en constituant progressivement des correctifs de valeurs et des provisions, selon ce que lui permettaient ses résultats. Toutefois, ces derniers se sont montrés trop faibles pour assurer le succès de cette politique. Lors de l'établissement de ses comptes pour l'année 1999, la BCGe a dû inscrire une provision extraordinaire de CHF 500'000'000.-- à son bilan, par prélèvement sur la réserve légale. A la suite de cette opération, les fonds propres de la banque n'ont plus atteint le niveau requis par le droit fédéral. La Commission fédérale des banques a imparti à la BCGe un délai échéant le 30 juin 2000 pour remédier à cette situation. D'accord avec le conseil d'Etat de la République et Canton de Genève (l'Etat de Genève), la BCGe a alors mis au point une nouvelle stratégie d'assainissement, comprenant notamment une augmentation du capital de la banque et le transfert du portefeuille de crédits à risque de la BCGe à une fondation de valorisation disposant d'une garantie de l'Etat de Genève.
C.
Le 20 mai 2000, le Grand Conseil genevois a accepté de financer le capital de dotation de la fondation de valorisation. Il a également accepté de garantir les prêts que cette fondation sera appelée à obtenir pour financer l'acquisition des actifs de la BCGe jusqu'à concurrence de CHF 5 milliards. Le même jour, il a ouvert un crédit extraordinaire de CHF 246'200'000.-- permettant au Conseil d'Etat de souscrire à l'augmentation de capital de la BCGe. Le crédit octroyé permet à l'Etat de Genève de souscrire, le cas échéant, un nombre d'actions dépassant la part de l'émission pour laquelle il dispose de droits préférentiels.
Le 23 mai 2000, l'assemblée générale de la BCGe a décidé d'augmenter le capital de la banque de CHF 135'000'000.-- par l'émission de 1'590'620 nouvelles actions nominatives et de 554'690 nouvelles actions au porteur. Le prix de souscription sera fixé le 31 mai 2000, à la clôture du marché. Les nouveaux titres seront mis en souscription du 5 au 20 juin 2000. La libération des actions aura lieu le 27 juin 2000.
D.
Le 17 mai 2000, l'Etat de Genève a demandé à la Commission des OPA de le dispenser de l'obligation de présenter une offre publique d'acquisition aux actionnaires de la BCGe, pour l'hypothèse où il franchirait le seuil de 50% des droits de vote à l'issue de l'augmentation de capital de la banque. Selon lui, l'assainissement en cours justifierait la dérogation requise. A titre subsidiaire, il demande à la Commission des OPA d'accorder cinq ans à l'Etat de Genève pour ramener sa participation en dessous du seuil de 50% des droits de vote. Enfin, il soutient que le contrôle de la banque ne serait pas affecté si l'Etat de Genève franchissait le seuil de 50% des droits de vote, les collectivités publiques genevoises ayant déjà détenu la majorité des voix lors de l'entrée en vigueur de la LBVM. Par ordonnance du 17 mai 2000, le Président de la Commission des OPA a invité le conseil d'administration de la BCGe à se déterminer sur la requête. Dans le délai qui lui a été imparti à cet effet, ce dernier s'est prononcé en faveur de la dérogation requise.
E.
Une délégation formée de Hans Caspar von der Crone (président), Peter Hügle et Thierry de Marignac a été désignée pour se prononcer sur la requête.
Considérants:
1. Droit d'être entendu des actionnaires
1.1 L'art. 55 al. 1 OOPA stipule que les procédures de la Commission des OPA ne sont pas soumises aux règles de la loi fédérale sur la procédure administrative. La délégation constituée pour traiter une requête doit cependant garantir le respect du droit d'être entendu, dont les modalités doivent être fixées "en tenant compte de tous les intérêts en cause".
Les règles sur l'offre obligatoire tendent à sauvegarder les intérêts des détenteurs de participations minoritaires dans une société cotée. Bien que ces derniers ne soient pas automatiquement parties à la procédure tendant à l'octroi d'une dérogation à l'obligation d'offre, cette procédure touche néanmoins leurs intérêts de façon directe. Dans la mesure du possible, ils doivent donc être entendus avant que la Commission des OPA statue sur la dérogation requise. Le grand nombre de personnes concernées excluant des prises de position individuelles, il faut considérer que le droit d'être entendu des minoritaires peut être exercé par l'intermédiaire du conseil d'administration de la société visée. Cet organe a l'obligation légale de sauvegarder les intérêts des détenteurs de droits de participation et semble donc légitimé à prendre position en leur nom (voir la recommandation Loeb Holding AG du 15 mai 2000, c. 1).
1.2 Confronté à une requête de dérogation à l'obligation d'offre de l'un de ses actionnaires, le conseil d'administration d'une société cotée se trouve dans une situation comparable à celle dans laquelle il se trouverait en cas d'offre publique d'acquisition. Dans les deux cas, il doit prendre position sur une opération qui est susceptible d'affecter le contrôle de la société. En matière d'offre publique d'acquisition, les art. 29 al. 1 LBVM et 29 à 33 OOPA obligent le conseil à publier un rapport motivé à l'intention des détenteurs de droits de participation. La situation du conseil d'administration étant comparable en cas d'offre publique d'acquisition et de requête de dérogation à l'obligation d'offre, il y a lieu d'appliquer les dispositions précitées par analogie dans cette dernière hypothèse. Ainsi, conformément à l'art. 31 OOPA, le conseil d'administration doit notamment préciser si certains de ses membres sont en situation de conflit d'intérêts et, le cas échéant, indiquer les mesures qui ont été prises pour éviter que cette situation porte préjudice aux actionnaires.
1.3 En l'espèce, onze des treize membres du conseil d'administration de la BCGe ont été désignés par des collectivités publiques genevoises. Selon le requérant, ces dernières doivent être considérées comme agissant de concert avec l'Etat de Genève. La majorité des membres du conseil d'administration se trouvant ainsi dans une situation de conflit d'intérêts, ce dernier a demandé à ATAG Ernst & Young SA d'émettre un avis indépendant sur la requête de l'Etat de Genève. Cette société a confirmé le besoin d'assainissement de la banque. Se fondant notamment sur cette opinion, le conseil d'administration de la BCGe a adhéré à la requête de dérogation de l'Etat de Genève. Dans de telles circonstances, on peut admettre que les minoritaires ont été entendus à satisfaction de droit dans le cadre de la présente procédure.
2. Motifs de dérogation
2.1 A titre principal, l'Etat de Genève fait valoir que l'augmentation de capital envisagée s'inscrit dans un plan d'assainissement. Une dérogation devrait donc lui être octroyée en application de l'art. 32 al. 2 lit. e LBVM s'il franchissait le seuil de 50% des droits de vote dans le cadre de cette opération.
L'art. 32 al. 2 lit. e LBVM permet de déroger à l'obligation d'offre "lorsque les titres [faisant franchir le seuil déterminant] sont acquis à des fins d'assainissement". Ni la LBVM ni ses ordonnances d'application ne définissent la notion d'"assainissement". L'art. 33 al. 1 lit. a OBVM-CFB prévoit une dérogation générale à l'obligation d'offre lorsque "le dépassement du seuil résulte directement de la réduction de capital suivie de sa réaugmentation immédiate". Toutefois, on ne peut pas en déduire que l'augmentation accompagnée d'une réduction de capital correspondante soit la seule mesure d'assainissement susceptible de justifier une dérogation au sens de l'art. 32 al. 2 lit. e LBVM. Même si les travaux préparatoires ne s'expriment pas explicitement à ce sujet, il apparaît qu'en adoptant cette dernière disposition, le législateur fédéral a voulu que l'intérêt des actionnaires minoritaires à se voir présenter une offre s'efface devant l'intérêt général à la perpétuation de l'entreprise. Il faut donc admettre que la notion d'"assainissement" de l'art. 32 al. 2 lit. e LBVM vise toutes les mesures qui sont à la fois destinées, aptes et nécessaires à la poursuite des activités de la société visée.
En droit des sociétés, la notion d'"assainissement" désigne généralement les mesures prises pour remédier à une perte de capital ou à un surendettement (P. Böckli, Schweizer Aktienrecht, 2ème éd., Zurich, 1996, 891 N. 1679a). La BCGe ne se trouve pas dans une situation dans laquelle de telles mesures seraient requises. Toutefois, cet établissement est soumis aux prescriptions bancaires fédérales, dont les exigences en matière de fonds propres vont au-delà de celles du droit des sociétés. Or ces exigences ne sont actuellement plus satisfaites, compte tenu de la provision extraordinaire que la BCGe a dû porter à son bilan pour l'exercice 1999. La Commission fédérale des banques a imparti à la banque un délai échéant le 30 juin 2000 pour régulariser la situation. S'il était maintenu au-delà de cette date, un niveau de fonds propres insuffisant entraînerait le retrait de la licence bancaire et la dissolution de l'établissement (art. 23quinquies LB). L'augmentation de capital et les autres mesures décidées par l'assemblée générale le 23 mai 2000 sont donc indispensables pour permettre la poursuite des activités de la société.
Il ne peut être question d'assainissement au sens de l'art. 32 al. 2 lit. e LBVM que si les mesures prises sont aptes à garantir la pérennité de l'entreprise. La Commission des OPA n'examine ce point qu'avec retenue. S'il est établi que la poursuite des activités de la société est compromise, l'opportunité des mesures prises par l'assemblée générale pour remédier à cette situation sera en principe présumée. En l'espèce, la Commission des OPA n'a pas de motif de douter que l'augmentation de capital et les autres mesures décidées par l'assemblée générale soient appropriées. La dérogation requise doit donc être accordée. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'examiner si les autres motifs de dérogation dont l'Etat de Genève se prévaut peuvent être admis en l'espèce.
3. Publication de la prise de position du conseil d'administration de la BCGe
En application de l'art. 34 al. 3 OBVM-CFB, la présente dérogation sera assortie de la charge, pour la BCGe, de publier la prise de position par laquelle son conseil d'administration adhère à la requête de l'Etat de Genève. Cette mesure est nécessaire pour permettre aux actionnaires de la banque de faire usage en connaissance de cause du droit d'opposition dont ils disposent en vertu de l'art. 34 al. 4 OBVM-CFB. Comme il l'a été indiqué au considérant 1 ci-dessus, l'art. 32 OOPA sera applicable par analogie à cette publication. La prise de position du conseil devra donc être publiée dans au moins un journal de langue française et un journal de langue allemande, de manière à atteindre une diffusion nationale. Le rapport devra aussi être communiqué à l'un au moins des principaux médias électroniques diffusant des informations boursières. La publication devra intervenir le jour de l'indication de l'octroi de la dérogation dans la Feuille officielle suisse du commerce, soit le 5 juin 2000 (voir le considérant 4 ci-dessous). Elle devra être accompagnée d'une reproduction du texte de l'art. 34 al. 4 OBVM-CFB.
4. Publication de la présente recommandation et suite de la procédure
Conformément à l'art. 35 al. 2 OBVM-CFB, la présente recommandation est adressée à la Commission fédérale des banques. L'octroi de la dérogation sera en outre publié dans la Feuille officielle suisse du commerce le 5 juin 2000 (art. 34 al. 4 OBVM-CFB). La présente recommandation sera publiée le 31 mai 2000 sur le site Internet de la Commission des OPA, en application de l'art. 23 al. 3 LBVM.
5. Emolument
Conformément aux art. 23 al. 5 LBVM et 62 al. 6 OOPA, un émolument est perçu pour l'examen de la requête de dérogation de l'Etat de Genève. Cet émolument est fixé en l'espèce à CHF 20'000.--.
Fondée sur ce qui précède, la Commission des OPA adopte la recommandation suivante:
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Dans la mesure où elle franchit le seuil de 50% des droits de vote à la suite de sa souscription à l'augmentation de capital décidée par l'assemblée générale de la Banque cantonale de Genève le 23 mai 2000, la République et Canton de Genève est dispensée de l'obligation de présenter une offre publique d'acquisition aux actionnaires de la banque.
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La présente dérogation est accordée, à charge pour la Banque cantonale de Genève de publier la prise de position par laquelle elle se prononce en faveur d'une dérogation à l'obligation d'offre. La publication devra être faite le 5 juin 2000 dans au moins un journal de langue française et un journal de langue allemande, de manière à atteindre une diffusion nationale. La prise de position devra aussi être communiquée à l'un au moins des principaux médias électroniques diffusant des informations boursières. Elle devra être accompagnée d'une reproduction du texte de l'art. 34 al. 4 OBVM-CFB.
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La présente recommandation sera publiée le 31 mai 2000 sur le site Internet de la Commission des OPA.
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L'émolument s'élève à CHF 20'000.--.
Le Président
Hans Caspar von der Crone
Les parties peuvent rejeter la présente recommandation par un acte écrit qui doit parvenir à la Commission des OPA au plus tard cinq jours de bourse après réception de la recommandation. Ce délai peut être prolongé par la Commission des OPA. Il commence à courir en cas de notification par télécopie. Une recommandation non rejetée dans le délai de cinq jours de bourse est réputée acceptée par les parties. Lorsqu'une recommandation est rejetée, n'est pas exécutée dans le délai fixé ou lorsqu'une recommandation acceptée n'est pas respectée, la Commission des OPA transmet le dossier à la Commission des banques pour ouverture d'une procédure administrative.
Communication:
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à la République et Canton de Genève, par l'intermédiaire de son conseil,
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à la Banque Cantonale de Genève,
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à la CFB.